Oui, triste. Love est un groupe assez sous-estimé ; sans doute inconstant, trop marqué par la personnalité aléatoire de son leader, sans vrai tube, etc…Mais pour les amoureux de la belle balade à grand renforts de cordes, de mélodies qui coupent le souffle… Bref, si les Beach Boys ou les Beatles font partie de votre Panthéon, give Love a chance !
Vivant en Californie, j'ai eu la chance de voir Arthur Lee en concert en 2005 ; voici le compte-rendu de cette soirée qu'à l'époque j'avais posté sur le site yellow-sub.net ; j'ai conservé les petites erreurs d'orthographe d'un texte écrit quelques heures après le concert.
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Une affichette placardée dans les rues passantes du quartier Haight Ashbury (San Francisco) : Love & Arthur Lee se produisent deux soirées au "Café du Nord", la première fois pour interpréter les morceaux de l'album Forever Changes, la seconde fois pour un Greatest Hits. Je m'y rends la première soirée.
Expérience singulière. Celle vécue par quelqu'un qui apprécie énormément la pop sophistiquée à grands renforts d'instruments classiques, et qui admire la richesse mélodique de beaucoup de morceaux de Love. De ce qu'était devenus le groupe et son leader Arthur Lee après ces années 60 oú ils avaient cotoyé les Doors et Jimmy Hendrix, mais sans laisser une trace semblable à leurs frères d'équipée, je ne savais pas grand chose, sinon de vilaines histoires de dope et de prison pour Arthur Lee, et le décès de Brian Mc Lean voici quelques années (pas sûr de l'orthographe), un des compositeurs du groupe (on lui doit, il me semble Orange Skies et Old Man notamment).
Un public d'abord clairsemé en cette soirée frisquette du mois de juin ; le Café du Nord est une petite salle oú l'on peut boire un verre et dîner. Et puis, peu à peu, la salle se remplit… deux cents cinquqnte personnes, à vue de nez. Des jeunes garçons et filles d'une vingtaine d'années jusqu'aux barbus soixantenaires et femmes mûres qui ont connu l'époque oú la côte Ouest des USA tenait la dragée haute aux british et accueillait les routards du monde entier. Bref, une soirée Remember 1967, mais dans une ambiance plutôt bon enfant et clean - on rappelera qu'en Californie, on ne fume pas dans les lieux publics, et que les comportements agressifs sont généralement mal vus.
Si les disques de Love sont vendus un peu partout aux USA et en Europe (ailleurs, je ne sais pas), il faut savoir que même en Californie le goupe ne jouit pas d'une grande popularité ; ce sont des artistes estimés par la critique, mais confidentiels.
Première partie : un groupe que je trouve sans grand intérêt. Et puis, vers 22h00, les musiciens de Love (qu'on prend d'abord pour des roadies, car ils sont jeunes et viennent faire la balance et les réglages sous nos yeux) apparaissent sur scène : ils révèleront une très grande qualité de jeu. Le seul musicien âgé est un Noir - il me semble qu'il fait partie du goupe d'origine (guitare électrique dont je retrouve la nerveuse élégance sur les disques de Love).
Arrive Arthur Lee, alors que le public est en rang serré, et enthousiaste. C'est un public de fans, qui va pardonner les hésitations et les incidents qui ne vont pas manque d'émailler la soirée.
Arthur Lee a environ 60 ans. C'est un rescapé des substances, qui parvient sur scène la démarche un peu lente ; disons qu'à la fatigue due à son âge (et encore, Trénet swinguait jusqu'à 80 ans passés) s'ajoutent sans doute les effets de, au choix, l'alcool/acide/cocher la case souhaitée pris avant le concert… Bref, Arthur Lee est là, souriant, mais un peu chancelant. Il porte un chapeau et un foulard sur la tête ; c'est un Noir (plutôt un métis) au visage lisse, pas un pirate comme Hendrix ou Keith Richards… Et parfois, pendant le concert, il a presque l'air un adolescent malicieux.
Lentement, très lentement, il s'installe sur scène. Il porte une espèce de veste blanche cow-boy, et finit par mettre des lunettes noires. Il prend une guitare électrique dont il ne jouera que très peu, et son harmonica. Le public l'applaudit chaleureusement. C'est un peu confus, mais tout le monde est content d'être là, et lui aussi visiblement. Pour moi, c'est une espèce de voyage dans le temps croisé ; je me projette dans des sixties fantasmées, et sur mon chemin je croise Arthur Lee 2005, qui n'est plus, du mois ce soir-là, le dandy précieux (et sans doute un peu arrogant) qui pose sur les photos multicolores de la période mythique.
C'est un homme fatigué, en petite forme, mais qui a des réserves d'énergie, pas toujours employées pour la cause musicale.
Premiers accors de Alone Again Or… ces arpèges cousins de ceux de Brian Wilson, la clarté de la voix qui nous emmène en voyage vers les cieux somptueux. Et la foule rugit et chante !
Arthur Lee chante aussi… Sa voix est devenue plus rauque, un peu éteinte, elle n'atteint plus les aigus; il chante en martelant les syllabes, en criant un peu, en se plantant un peu dans les paroles…
Et c'est une impression particulière : la joie de le voir et d'écouter ces morceaux magiques, le respect devant cet homme qui a presque fait jeu égal, pendant un instant court et éternel, avec les Beatles de Sgt Pepper… Mais aussi la gêne de le voir s'essoufler, et partir entre deux chansons dans des diatribes contre la police (apparemment, il a eu droit à des descentes chez lui), Bush et Michael Jackson… A grands renforts de motherf…. et de bi… que le public accueille avec indulgence, mais quand même. Il raconte quatre ou cinq fois la même histoire de tremblement de terre ; entre temps il a enlevé son chapeau - découvrant un crane lisse, ce qui le rajeunit paradoxalement - et a fait quelques allusions à la religion (il s'est converti au christianisme, ou quelque chose comme ça - je n'ai pas compris).
D'ailleurs, à plusieurs reprises, les musiciens, sans doute habitués aux digressions du Maître (c'est son statut incontesté), prennent l'initiative de commencer la chanson suivante, et Arthur Lee est bien obligé de suivre. A chaque nouvelle chanson, la salle bat le ryhtme et reprend en chœur : l'album Forever Changes, qui fait du gymkana entre le blues, le rock, le classique, et qui fait se succéder gimmicks musicaux, ruptures et refrains hypnotiques s'y prête parfaitement.
Pour interpréter Old Man, on lui apporte un tréteau avec les paroles. Et à d'autres occasions, quelques plantages ; heureusement le groupe assure sans problème.
Mais c'est vrai que le cœur ne semble pas y être totalement chez Arthur Lee… et chez moi non plus. Rapidement, il abandonne sa guitare et reste sur un tabouret, sa bouteille d'eau à la main. Il s'énerve un peu contre le public, s'amuse, se fatigue.
Après coup, je me suis dit que j'avais assisté à une espèce de messe oú les fidèles croient encore, mais plus le curé.
Arthur Lee est un Noir qui joue pour des Blancs (au moins autant qu'en France, sinon plus, les musiques sont ethniquement marquées aux USA, et cette singularité joue peut-être dans le décalage entre la qulité de la musique de Love et sa réception dans le public, comme si on ne savait pas trop comment classer ces types, les gens aimant tellement ça, le classement - Arthur Lee n'a pas eu le classement, il a juste eu la Classe) ; il a le blues dans le sang, et certains morceaux de Love s'en ressentent - de même que par exemple les Doors flirtent avec cette musique dans certains titres ; et je me demande si Forever Changes n'est pas une parenthèse, de même que les morceaux pop cristallins de l'époque, dans le parcours d'Arthur Lee.
Et c'est un peu triste de le voir, à plusieurs reprises, jouer au ganstarrap de troisième zone. Il n'est pas devenu Ray Charles ou Smokey Robinson ; pour tout dire il a l'air un peu paumé, et conserve en même temps cette distance qui fait que je n'arrive pas à l'aimer tout à fait autant que je voudrais : c'est une espèce de respect un peu déçu que je ressens, et, rentrant chez moi les oreilles repues de cette orgie musicale qu'est Forever Changes, je pense aux années 60, je pense à ces titres qui ont presque quarante ans et qui peut-être rendent indifférent leur auteur lui-même… Sauf le temps d'une soirée oú il se rend compte de l'estime et de l'affection qu'on porte à ses chansons… au mois autant (et peut-être plus, pour ma part) qu'à lui-même.
Voilà !
Amicalement,
Emmanuel
It's All Show-bizz