Bay
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Re: Elle s'est fait jetée dans l'Indre
Le 18-06-2014 à 14:47:58
Cette phrase, ainsi que beaucoup d'autres figurant dans les œuvres du même auteur, m'a toujours intrigué. Durant ces longues et tristes années qui précédèrent la généralisation d'Internet, où on se désolait de ne jamais pouvoir trouver de réponse à ce genre de questions essentielles, elle venait périodiquement me titiller les neurones à la faveur d'une écoute de la chanson sur RTL (Stop ou encore) ou ailleurs, et, plus récemment, de la vision d'un extrait du film éponyme. Heureusement des sites comme celui-ci hébergent pour toujours dans leurs bases de données de quoi faire la mise au point sur des sujets qu'on croyait définitivement enfouis dans les sillons de nos vinyles en décomposition.
En supposant qu'il s'agisse bien de l'Indre, la rivière, on se demande ce que vient faire dans la chanson cet épisode campagnard, assez peu en phase avec le bling-bling du rock star narrateur. De plus on a appris plus tard que, selon ses proches du quatre-un, il n'aime pas trop marcher dans la boue. J'imagine la scène, et elle ne me paraît pas trop vraisemblable : pendant que son mari de chanteur fait son show sur l'estrade de la MJC, sa compagne n'a rien trouvé de mieux, plutôt que se taper un sandwich à la merguez en éclusant une Kro avec les gars du village que de rester « planquée » dans la bagnole. Pourquoi diantre ? Elle en a marre de l'entendre ressasser « Lorette », qu'il interprète tous les matins sous la douche ? Elle a peur de se faire reconnaître et bousculer par les fans ? Et l'avenir lui donnera raison, mais… Elle n'est pas aussi connue que son époux ! Il lui suffirait de se mêler à la foule les tympans garnis de boules Quies. Ça lui épargnerait un bain froid, une facture de pressing, et dans le pire des cas (femme + merco au bouillon) le déplacement du tracteur du Père Matthieu et la réparation et le séchage du véhicule.
« Elle s'est fait(e) j'ter dans l'Indre », brutal et laconique, vient comme des cheveux sur la soupe. Quelle agressivité de la part du « fan club » ! Et faire de ce dernier l'acteur unique de cette violente mise à l'eau est assez maladroit. Ce sont les membres du fan club qui la commettent, pas le fan club, qui n'est qu'une association de fait, ou du type 1901. Dirait-on : « l'orchestre de l'Opéra de Paris est sorti fumer une clope à l'entracte » ?
La rime maintenant : comme tous les poètes, MD a d'abord trouvé un mot fort, auquel il doit trouver une correspondance dans son dictionnaire de rimes. Est-ce l'Indre qui s'impose d'abord à sa pensée ? Ou « dingue » ? Je penche pour le second, qui est plus « rock and roll ». Là il n'a pas trop le choix ; distingue, cradingue, lingue, sourdingue, ribouldingue, (tout) berzingue, bilingue, carlingue… dur à caser n'est-ce-pas ? En six syllabes, même avec élisions. Sinon avec Indre, c'est pas tellement mieux ; moindre, cylindre, et des infinitifs du troisième groupe : peindre, contraindre, oindre… Mais l'auteur ne se prend pas pour Baudelaire, et il a raison, et il nous l'a déjà souvent démontré. Il suffira d'une vague assonance, le son « in » suivi de n'importe quelle consonne. Et voilà ! A la baille, Maman ; et finalement c'est plutôt elle qui a une vie de dingue !
MD ne s'embarrasse jamais de détails ; voir son « vol de perdreaux montant dans les nuages » alors que cet à peine volatile ne s'élève jamais au-dessus du niveau des rimes de la chanson. Alors le Saint-Georges… c'est peut-être sur Arnon ; et tant pis si l'Indre n'y passe pas. Bon, Châteauroux a une syllabe de trop, et la terminaison n'est pas féminine. Et Kermesse Mercedes c'est presque correct. On va pas en faire un chabichou !
Michel Delpech fait partie de cette catégorie de chanteurs, plus pléthorique qu'on le pense, dont la production est terriblement entachée par la faiblesse de leurs textes. Nino Ferrer, Annie Cordy, Sacha Distel, et bien d'autres que je ne citerai pas pour éviter de me fâcher avec plus de monde, en négligeant d'accomplir un petit effort d'écriture ou de faire appel à un parolier moins mauvais, ont commis moult nanars qui auraient pu être des bonnes chansons. Encouragés en cela par le public qui n'y trouve rien à redire. Et Alain Resnais.
Que restera-t-il de ces bluettes imparfaites ? Les étudiera-t-on dans un siècle à l'école ? Comme les œuvres de Brel, Brassens, et j'espère Boby Lapointe ? Il y a tellement de gens, poètes en herbe ou confirmés, qui auraient pu relooker ces textes boiteux et leur accorder la qualité minimale nécessaire à leur pérennité. Dans le cas qui nous préoccupe, et surtout moi, le chanteur dispose de sacrés atouts : un physique plus qu'irréprochable, avec son sourire orné d'une charmante fossette, des musiques accrocheuses, une voix qui n'est pas celle de Roberto Alagna mais qui convient très bien à la variété. Alors pourquoi négliger le point faible ? Ces chansons resteront, après avoir occupé les bacs de hits, dans ceux de la variétoche populaire. A qui la faute ?
Maintenant, pour ceux qui suivent toujours, un point soulevé plus haut et qui me fait tiquer ; et m'a toujours fait tiquer : l'allusion au décès de Mick Jagger. C'est très inélégant, bien qu'à l'époque où fut écrite la chanson, on était en droit de se douter que le leader des Stones, compte tenu d'une hygiène de vie assez peu rigoureuse, ne concourait pas pour le label de centenaire. Au vu de ses activités présentes, il semble qu'il ait mis de l'eau dans son whisky et dans sa seringue, et qu'il soit bien parti pour faire un arrière-arrière-grand-père. C'est tout ce que je lui souhaite ! Faisons un calcul, merci Ouiki : Delpech, né en 46, situe l'action de son récit en 2019. A cette date, qui arrivera bientôt, Mick n'a pas encore atteint son 76e anniversaire. « Dernièrement », ça laisse supposer qu'il a défunté quelques mois plus tôt, autour de 75 balais, un âge respectable pour un chanteur de rock à la vie dissolue. Mais quand même ! Une telle précision, déductible du chiffre donné de 73 ans, fait un peu frémir, surtout Mick Jagger s'il connaît la chanson aussi bien que Resnais. Quant aux adieux de Sylvie, si l'assurance lui est donnée qu'elle atteindra les 74 balais en étant toujours capable de faire de la scène, elle ne serait plus bonne à rien après ça puisqu'elle y ferait ses adieux. Je leur souhaite à tous que la prévision ne se réalise pas. Que Michel Delpech surmonte ses problèmes de santé et courre comme un lapin, ou un perdreau, que Sylvie en reprenne pour dix ans de carrière, que Mick soit frais comme un gardon, et qu'ils nous fassent ensemble un concert à l'Olympia pour célébrer la nouvelle année 2020 !
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